Metaphor: ReFantazio
Moi et les jeux Atlus on a une longue histoire d'attirance / répulsion. Attirance pour les inspirations artistiques ou philosophiques, pour le gameplay au tour par tour, pour les thématiques éloignées des standards habituels, bien que très nekketsu sans se mentir. Répulsion pour les 60 heures de moyenne, pour les romances gênantes, pour les systèmes punitifs...
Alors quand Katsura Hashino, le réalisateur des Persona depuis le 3, nous dit qu'il va sortir un jeu qui va révolutionner notre vision de la "fantasy" je me dois de vérifier ses dires sans attendre.
60H plus tard il faut avouer que... Non. Et j'en profite pour évacuer quelques éléphants au milieu de la pièce : ce n'est pas un jeu Persona, ce n'est pas un jeu médiéval fantastique non plus mais si vous avez suivi la communication autour du jeu vous le savez déjà, et ce n'est pas un jeu révolutionnaire. C'est une Salade Melon Tomate (oui je sais...) qui reprend plusieurs éléments de gameplay des différentes franchises Atlus pour les incorporer dans un nouvel univers débordant d'inspirations diverses qui, prises séparément n'ont aucun sens mais forment le liant de ce qu'est l'identité de Metaphor ReFantazio.
Make Euchronia Great Again
Bienvenue sur les terres du Royaume d'Euchronie ! Votre vénéré souverain est assassiné et le prince héritier du trône est plongé dans un sommeil profond à cause d'une malédiction qui le ronge depuis des années. Vous êtes affecté.e à une mission : sauver le prince et empêcher l'infâme Louis de succéder à Hythlodaeus V. Par un hasard de circonstance que je n'évoquerai pas ici, vous voilà en compétition contre ce satané Louis lors du "Tournoi Royal" censé départager les aspirant.es au trône et couronner le ou la vainqueur en fonction du niveau de soutien de la population. Vous partez de très loin, ou plutôt de très bas, car Louis s'est déjà octroyé les faveurs du public en manipulant les peurs et les "anxiétés" de la population à son profit tout en se présentant comme l'unique rempart aux craintes des fidèles de sa majesté. De là à le comparer à n'importe quel autoritaire réactionnaire de notre réalité c'est un pas... que je franchi allègrement tant la similitude saute aux yeux puisque ce Trump aux cheveux longs ne reculera devant aucune bassesse, aucune trahison, aucune manipulation pour parvenir à ses fins, ou à sa propre vision utopique.
Ce concept d'utopie a une place prépondérante dans l'univers de Metaphor. Déjà par le personnage de "More", écrivain rencontré dans un espace étrange nommé Akademia et auteur du livre fantastique que l'on feuillette de temps en temps et décrivant une utopie ressemblant à notre réalité. More... Utopie... Akademia... Merci Atlus pour les gros sabots. Ensuite par les différentes interprétations de ce que serait une utopie selon la classe, la religion d'état, l'ethnie dominante. Enfin par les confrontations entre ces différentes interprétations et les conséquences de ces confrontations sur le passé, le présent et le futur du royaume d'Euchronie. Le monde dans lequel notre personnage évolue est cruel, inégalitaire, hiérarchisé, marqué par de multiples discriminations, sous la coupe d'un clergé régnant main dans la main avec une bourgeoisie suprémaciste et chaque aspirant.e au trône, inféodé.e ou non à ces catégories à sa propre lecture politique des enjeux. À se demander si fiction d'Euchronie et utopie tirée de notre réalité ne seraient pas inversées... Merci Atlus pour les gros sabots². Je note quand-même que quelques aspirant.es électrons libres emportent mes faveurs car j'adhère facilement aux promesses de lendemains faits d'alcool gratuit à volonté et de bourgeois expropriés. Mais toustes n'ont pas lu le petit livre rouge, pardon... Le roman "fantastique" de "More" qui décrit une "utopie".
Selon moi, la force scénaristique de l'oeuvre se trouve dans la construction de cet univers qui pose le conflit global au début du jeu pour mieux l'approfondir au fil des heures. Metaphor arrive à se faufiler dans les interstices de cette lutte de pouvoir pour délivrer des informations qui mettent en doute nos positions pré-établies en début d'aventure, doutes rapidement balayés ou savamment confirmés selon les moments, et ainsi mieux nous préparer à l'affrontement final bien aidés de nos "archétypes". En parlant d'archétypes, et si vous aviez encore des doutes sur la couleur politique du jeu, ces derniers s'éveillent ("awaken !")... au coeur des espoirs du personnage durant des cinématiques à faire pâlir tout fan de Joker (pas Joaquin Phoenix) et sont à interpréter avec une lecture Jungienne. Que serait un jeu Atlus sans Carl Gustav Jung...
RenaissanceFantazio
Il est temps d'évacuer un autre éléphant au milieu de la pièce : OUI le design des boss est copié des oeuvres de Hieronymus Bosch, ou plus précisément du "jardin des délices". Voilà c'est fait passons à l'univers artistique et visuel du jeu.
En réalité, le choix de Hieronymus Bosch fait sens à la vue des autres inspirations qui guident l'univers artistique du jeu et servent sa narration. Des monstres sortis tout droit de son triptyque à l'énorme statue de l'Akademia qui rappelle immédiatement l'homme de Vitruve en passant par les menus du jeu remplis de symboliques du cercle et du carré ou même la carte du royaume, TOUT transpire le Quattrocento. Euchronie vivrait sa première renaissance et donc la perte progressive du pouvoir de l'église Sanctiste au profit de nouvelles représentations du monde et de ses origines. Le sanctisme, matérialisé par la gigantesque cathédrale en forme de triangle retourné, menacé par des aspirants et empetré dans ses propres contradictions n'a pas d'autre choix que de tenter sa chance lors du tournoi pour le trône et d'encourager ses fidèles à répéter la prière "closurei", les mains cachant le troisième oeil.
Face à celà, difficile de ne pas voir Grand Trad comme la nouvelle Florence, l'architecture Haussmannienne et les écriteaux en espéranto en plus (Fantazio signifiant fantaisie en espéranto). La petite fantaisie (je me gonfle moi-même) d'Atlus en matière d'espéranto ne s'arrête pas là puisque plusieurs thèmes de la bande sonore sont inspirés librement de cette langue à visée universelle et équitable. Le travail musical de Shoji Meguro est par ailleurs assez inégal mais certains thèmes, notamment celui-ci (pour une raison scénaristique que je n'expliquerai pas), me restent encore en mémoire.
Salade Melon Tomate
Katsura Hashino oblige, d'autres thématiques liées au mystique, aux dogmes, aux croyances, aux dieux et démons viendront agrémenter l'expérience Metaphor. Et c'est là ou le jeu cesse d'être une singularité scénaristique et artistique pour faire ce qu'Atlus sait faire de mieux... ou de pire selon les opinions : du dungeon crawler au tour par tour. C'est tellement un dungeon crawler que certain.es fans d'Atlus lèveront les yeux au ciel lors d'un dialogue révélateur...Merci Atlus pour les gros sabots³. Ici les mécaniques sont éprouvées et rien sauf les pics de difficultés punitifs ne vient entraver le classique buff, faiblesse, renvoi, soin. Rien sauf des symbioses originales et indispensables en fin de jeu ou encore la gestion de la première et de la seconde ligne d'attaque. En dehors de ça, le studio zéro est en autopilote et c'est dommage pour un jeu qui promettait de "révolutionner le genre JRPG". Dans la même veine, vous aurez des camarades de route dont il faudra résoudre les dilemmes personnels pour gagner en niveaux de liens et synergies... pardon en archétypes.
Peut-être que j'attendais quelque chose de trop "révolutionnaire" par rapport aux capacités du studio ou peut-être que Hashino et son équipe sont un peu mythomanes sur les bords mais quoi qu'il en soit, niveau mécanique de jeu, j'en ressors assez déçue et pas mal frustrée (arrêtez les mécaniques qui permettent à un boss de frapper 10 fois d'affilé par pitié). Mais le monde de Metaphor compense cela et représente une véritable bouffée d'air frais dans le paysage vidéoludique actuel.