Guide de survie en milieu libertaire
Préambule
Ce petit guide de survie est destiné à tous celles et ceux qui, comme moi, fréquentent le milieu libertaire et ont besoin d’un petit guide pour éviter la désillusion, le brun-out ou la confrontation inutile avec des éléments qui n’ont de libertaire que l’affichage marketing. Le guide est volontairement genré au masculin et ce n’est pas une facilité rédactionnelle mais bien un reflet de la réalité de terrain.
Partie 1 : le militant libertaire
Le milieu libertaire ne serait rien sans son militant engagé et aguerri. Véritable figure de proue de son espace, il ressent un besoin viscéral de partager son savoir encyclopédique et historique sur les cinquante nuances de communisme et t’encourage régulièrement à lire et relire de vieux ouvrages écrit par de vieilles personnes mortes il y a plus d’un siècle. Même si certains de ces ouvrages peuvent avoir un intérêt historique indéniable, leur lecture n’apporte rien ou presque aux luttes d’aujourd’hui. Tu peux donc ignorer gentiment ces recommandations et te concentrer sur des choses qui ont beaucoup plus de sens comme… la couture, la musique, le yoga ou ton loisir préféré.
Pour te rassurer tout de suite, le militant libertaire ne croit pas vraiment dans les recommandations littéraires qu’il te donne. Il s’agit juste d’un test, d’une épreuve qui lui permettra de vérifier si tu es récéptifve à son charme indéniable de bibliothèque sur patte car, comme tout homme qui se respecte, il te teste pour savoir si son charme sapiosexuel rencontre un quelconque écho de ta part. Un petit signe dédaigneux de la tête ou une marque corporelle de mépris suffira à le tenir à distance un petit moment mais, soit en sûr·e, il reviendra à la charge aidée par Bakounine, Kropotkine, Reclus ou même Lénine.
Lénine ? Dans un corpus libertaire ? Et puis quoi encore ? Trotski ?! Et bien oui. Car le véritable militant libertaire est reconnaissable entre milles dans son refus catégorique de l’étiquette anarchiste au profit de « communiste libertaire ». Pas de malaise car notre militant n’est ni anarchiste, ni libertaire mais avant tout communiste donc quoi de plus logique de te recommander « la maladie infantile du communisme » pour te convaincre de grossir les rangs de la discipline de parti. Le trotskysme ne t’intéresse pas car… bon… tu es anarchiste ? Pas de souci, le militant libertaire à plusieurs cordes à son arc et risque de t’embarquer dans des déclinaisons contre nature comme le « marxisme libertaire », le « léninisme libertaire » ou encore le « maoïsme libertaire ». Quelle pensée complexe ! Notre militant libertaire se voit déjà comme le nouveau Fontenis sans la trahison (quoique…), le nouveau Proudhon sans l’antisémitisme (quoique…) ou le nouveau Guerin sans la défense des pédocriminels (quoique…).
Pour t’en débarrasser sans affront, un petit drapeau noir orné de la lettre A cerclée devrait suffire mais gare à ne pas le contrarier plus que de raison car le militant libertaire possède une dernière ressource : le pouvoir de te discréditer, de t’isoler ou, si besoin, de t’exclure du milieu. Notre militant libertaire n’a pas oublié de disposer de tout les leviers de pouvoirs possibles et imaginables au sein de son espace militant. De sa stature indéboulonnable de révolutionnaire de terrain à son besoin effréné de cumul des mandats, il peut te faire du tord selon bien des méthodes. Il s’agit donc de la jouer finement si tu souhaites continuer de militer plus ou moins sereinement dans le même espace que lui. Mais en as-tu vraiment envie ?
Partie 2 : l’organisation libertaire
Le gros du travail sur l’individu « militant libertaire » étant fait, la suite sera plus évidente et te sautera plus facilement au yeux tels les redflags qui entourent un youtubeur de « gauche » mais il réside çà et là quelques subtilités sur les organisations libertaires. Celle dont tu entendras parler en premier pour sûr est l’appel à investir les « contre-pouvoirs ». Dit comme ça on peut penser à une arnaque qui te promet de gagner de l’argent en versant des cryptomonnaies sur un compte obscur mais la réalité est tout autre. Il s’agit avant tout de gravir les échelons de la hiérarchie des syndicats (mais pas tous), des organisations féministes (mais pas toutes) ou des collectifs écologistes (mais pas tous). L’objectif ? Répandre la bonne parole du communisme libertaire, de l’auto-gestion et de la démocratie directe au sein de ses structures ! Ça ressemble à de l’avant-garde éclairée ? Balivernes ! Il s’agit de faire en sorte que ces structures adoptent nos pratiques car, en bonnes matérialistes qui se respectent, les organisations libertaires pensent que les idées influencent les structures et non l’inverse… Limpide.
Avant même d’envisager le non-sens idéologique tu tiques déjà sur la notion même de « contre-pouvoir » ? Bon réflexe anarchiste refusant les principes de pouvoirs mais mauvais réflexe de véritable communiste libertaire engagé·e dans une transformation de la société. Dans une organisation libertaire, ce qui compte avant tout c’est l’objectif, la stratégie, le pragmatisme que la période nous impose, peu importe si cette stratégie conduit à la dictature du prolétariat ou si tous ces termes te rappellent un discours de campagne électorale du candidat de droite de ta région. Il faut répandre le communisme libertaire et l’autogestion partout où cela est possible car les camarades des autres crémeries militantes sont trop bêtes et n’y ont pas pensé avant… Ou on d’autres objectifs et plus de moyens... va savoir. Cette idée de t’engager à la CFDT, plus grand contre-pouvoir du moment en nombre d’adhérent·e·s, te rebute mais tu ne veux pas te mettre ton organisation à dos ? Il est possible de juste prendre ta carte et de ne jamais participer à la vie démocratique de ton contre-pouvoir préféré. C’est pas idéal mais que vaut 10 € par an face à ton organisation qui te fiche enfin une paix royale sur ton « investissement » militant ?
Deux autres termes viendront égayer tes journées au sein du grand parti : le « fédéralisme » et la « démocratie directe ». Tu seras régulièrement convoqué·e à des discussions autour du fonctionnement interne de ton organisation et, si ces dernières peuvent être passionnantes, le résultat sera toujours le même. Le fédéralisme se résumera au fait de penser la fédération comme un tout sans aspérité possédant la même idéologie et la démocratie directe comme une chimère permettant à ceux qui ont le plus de temps disponible et le moins d’atomes crochu avec cette idée d’imposer leur vision à l’ensemble de ton organisation. Comme pour le militant libertaire, ta meilleure option est d’ignorer ces convocations et de te concentrer une fois encore sur la couture, la musique, le yoga...etc. Attention, le fait de ne pas recevoir de convocation ne signifie pas que tes camarades ne participent pas à ces échanges mais juste que ton bureau politique local aura tout décidé à ta place. Ne leur fais pas remarquer au risque de les vexer et de te faire passer par le cycle déjà mentionné de discrédit, isolement et exclusion.
Pour le reste, je t’encourage à ne pas parler trop fort, à ne pas parler de politique interne, à ne pas parler de VSS et encore moins t’occuper des batteries de cuisine des hommes de ton organisation, à ne pas parler pour argumenter, à ne parler pour faire savoir tes désaccords, à ne pas parler pour remettre en cause les fonctionnements, bref à ne pas parler tout court. Investissement minimal pour des soirées tisanes plus douces et plus légères.
Partie 3 : le lieu libertaire
L’idéologie libertaire n’étant pas qu’une pensée abstraite et complexe, tu seras très certainement amené·e à fréquenter des lieux estampillés de l’étiquette « libertaire ». Que ce dernier soit un café, une librairie, un athénée...etc, tous affichent fièrement les couleurs rouges et noires… tant que tout se passe bien.
Premier contact avec cet espace de vie sociale et tu es intrigué·e par l’état de délabrement du lieu ? C’est normal. La vétusté et l’insalubrité fait partie du corpus de tout espace libertaire qui se respecte et c’est un premier indice du mode de gestion adopté par l’espace. Plus la poutre qui soutient le bâtiment est vétuste, plus la structure de décision est « collégiale » et « partagée »… entre propriétaires. Oui car, sauf cas d’occupation de lieu abandonnés, il faut bien un chef ! Pardon... un ou des propriétaires, un ou des locataires… Bref des noms derrière tout ça. Il n’est pas chose aisée de reconnaître un bon propriétaire bailleur « libertaire » mais tu le reconnaîtras très vite à sa propension à s’inquiéter de l’immobilier au moindre incident. Les murs avant les gens.
Si jamais te vient l’idée saugrenue de t’investir dans la gestion de ce lieu – l’investissement est décidément une manie chez les libertaires – sache que ton rôle se cantonnera à celui de tacherôn·ne car tu ne fais pas partie du cercle fermé des propriétaires et, sauf erreur, tu n’en feras jamais partie. Mais soit, participer aux réunions « collégiales » te permettra de constater que la collégialité se résume aux décisions arbitraires des propriétaires comme l’interdiction des animaux de compagnie au motif entendable de « j’aime pas les chiens » ou l’exclusion d’une personne voire d’un groupe entier car ces derniers reviennent pas aux proprios. Depuis quand un bailleur a besoin d’un motif pour virer un locataire ? Ici c’est pareil.
En tout bon libertaire qui se respecte, l’argent ne devrait pas être un souci ou du moins une source de conflit… Sauf lorsque les règles changent aussi souvent que le Code du travail. Toi ou ton groupe militant souhaite disposer du lieu pour organiser une soirée politisée ? Ça peut-être 20 € en janvier, 50 en mars, 10 en mai, « on verra plus tard en juin » et « pourquoi t’as pas payé 100 € comme tout le monde » en septembre. Demander des écrits, une facture, un règlement intérieur ou des statuts revient à insulter la « confiance » nouée entre militants libertaires occupant le lieu depuis 2 000 ans (comptage exagéré dans le but d’imposer son idée). Tu persistes dans ton souhait d’organiser une soirée politisée ? Cherche ailleurs, c’est pas les lieux publics qui manquent.
Un fait majeur risque d’ébranler toute la structure horizontale du lieu. Non il ne s’agit pas de la rupture de la poutre qui soutient tout le bâtiment mais bien d’une affaire gravissime de vol de nourriture ou, pire, du vol de 2 € dans la caisse ! Branle-bas de combat chez la société civile immobilière qui se transforme pour l’occasion en structure d’enquête de la BAC voir, si la situation l’exige, en milice armée ! Quoi de plus logique que de menacer de tabasser une personne précaire pour le vol d’un paquet de gateaux. Si tu constates ce revirement inévitable de situation, il est temps pour toi de fuir définitivement ce lieu et de retourner à la couture, la musique… bref tu as compris.
Conclusion
Ce petit guide est volontairement à charge et toute ressemblance avec des situations réelles ou des évènements qui ont eu lieu n’est pas fortuite. J’espère que tu trouveras malgré tout ça la motivation de poursuivre le combat anarchiste auprès de camarades sincères qui ne transigent pas sur leurs convictions et leur idéologie car il existe des personnes formidables avec qui la lutte n’en devient que plus belle. Courage à toi.