Entre la caverne & le doomscrolling, réapprendre l'usage d'internet.
Qu’on se le dise tout de suite : l'internet moderne nous a toutes et tous forcé la main pour que l’on se regroupe sur les mêmes plateformes accaparées par une poignée de milliardaires et le réveil est brutal lorsque ces derniers adoubent le fascisme. Mais le doomscrolling de nos fils sur X, instagram ou facebook tout comme le repli réactionnaire primitiviste n'est pas une fatalité.
08H35. Le message d'un compte X premium néo-nazi envahit nos fils sans notre accord. Le fact-checker passe juste derrière certifiant que le message dudit néo-nazi est "à recontextualiser" et les médias à la solde de Bolloré s'empressent d'en faire une priorité au direct... Nous donnant du carburant pour réagir en citant leurs propos... Une spirale infernale en sommes. Le doomscrolling (https://fr.wikipedia.org/wiki/Doomscrolling) naît de là, de notre état de sidération permanent, distillé à petite dose, empêchant toute réaction physique ou psychologique et ainsi tout éloignement de la source du problème. On scroll pour vérifier si le geste d'Elon Musk est bien réel, si nous ne sommes pas seul·e·s à être scandalisé·e·s, si quelqu’un ou quelque chose peut nous expliquer ce qui se passe vraiment. Je fais le parallèle avec l’état de sidération à dessein car, comme toutes les femmes, je reconnais très bien cette sensation d’être bloquée et de ne pas réussir à faire le moindre geste…
Stop… Retour en 2004… Pas de facebook, pas de twitter, pas d'instagram, pas de google hégémonique, pas de youtube… même pas de twitch ! Toute une génération apprend donc l’usage d’internet comme elle peut mais surtout avec les outils du web « d’avant » : des moteurs de recherche qui fonctionnent plus ou moins bien, du slalom géant entre les popup de pub, de l'archéologie sur des forums phpBB tous aussi “moches” les uns que les autres avant que la connexion ne rende l’âme faute de quota de Mo suffisant pour continuer de surfer ce mois-ci. C’était rustique, c'était peu intuitif, c’était assez désagréable et, avouons-le, être une femme et/ou une personne LGBTI+ était déjà synonyme d’enfer virtuel. Toi qui as connu les canaux IRC tu vois très bien de quoi je veux parler…
Ce que nous avons à apprendre de cette époque un peu préhistorique sur l’échelle des nouvelles technologies, c’est que les espaces publiques du web étaient déjà saturés de trolls en tout genre mais que les milliardaires n’étaient pas encore là pour leur fournir un mégaphone. Une myriade de petites communautés virtuelles existaient en dehors de “Caramail” ou l'IRC “Voilà” (je viens de vieillir de 20 ans supplémentaires...) et les fafs, trolls, mascu ... etc ne pouvaient pas y entrer. La multiplicité des pages, blogs et autres contenus aux designs parfois douteux mais d'une diversité incroyable empêchaient – presque – toute censure technocapitaliste. Je ne dis pas qu’il faut revenir au web de 2004 mais, comme beaucoup d'autres personnes sensibles aux mécanismes de fonctionnement du web depuis longtemps, je pense que multiplier les espaces de discussion et d’expression, le plus souvent fermés au public indésirable, fait partie de la solution.
Safe space n’est pas un gros mot
Je pense que nous sommes tous d'accord pour partager le constat suivant : les contenus violents, angoissants, fascistes, masculinistes, racistes, LGBTIphobes nous pourrissent la vie et RIEN ne nous oblige à les subir. Personne ou presque n’a questionné les mouvances fascistes lorsqu’ils ont créé Truth social, Gab ou Parler donc nous ne devons pas laisser les centristes et autres sociaux démocrates questionner nos choix de multiplier les instances Mastodon féministes, LGBTI, antiracistes sans compromis, de créer des centaines de serveurs privés sur Discord (plutôt sur Matrix…), d’installer des forums partout… Je revendique mon droit à me couper des plateformes qui me déplaisent et je n'ai que faire des critiques me parlant des risques de me couper des “débats de société” alors que l'on parle d'espaces virtuels. On ne discute pas avec les fascistes, on les combat. Et j'ajoute qu'on ne les combat pas sur internet car, aujourd’hui, l’arène, la lumière, les gradins, le public et les commentateurs sont payés par les milliardaires fascistes.
Ceci est donc un appel à multiplier les serveurs privés sur Matrix ou Discord, à déployer des instances Mastodon radicalement antifascistes, antiracistes féministes, LGBTI…, à ouvrir des forums un peu moches soumis à inscription (faites revivre le forum de Barricata !!!https://fr.wikipedia.org/wiki/Barricata ) et à s’équiper de règles de modération décidées collectivement, partagées et appliquées par des équipes sur une période donnée.
Censorship-resistant blogging
Aujourd’hui, poster un message légèrement de gauche sur les plateformes des milliardaires fascistes, c'est se faire censurer ledit message voire se faire bannir son compte dans les heures qui suivent, quand ce dernier n’est pas inondé par les insultes des comptes “certifiés” ou les “notes de la communauté”… Aujourd’hui également, il est commun de se moquer de sa propre période “skyblog” et de ses proses écrites avec une police de caractère illisible sur un fond pixelisé dont l’exposition prolongée amène aux urgences ophtalmiques. Eh bien je vais aller plus ou moins à contre courant en disant que la période skyblog était d’une richesse créative incroyable ! Il n'y avait ni limite de caractères, ni standards typographiques, ni code esthétique minimaliste imposé plus tard par cette saleté de "material design". Certes, skyblog modérait plus ou moins le contenu posté, mais on est loin de l'IA de Musk qui strike un post si le terme “cis” s’y trouve…
Comme beaucoup d'autre, je pense que se réapproprier nos créations et les publier loin des outils techno-capitalistes fait partie de la solution. Je pourrais citer le réseau mutu (https://reseaumutu.info/) en exemple, mais je pense que vous avez saisi l’idée : redevenir maître de sa propre création, de son contenu, de son format et des commentaires qui y sont faits est un horizon numérique vital à l'heure de l'ultra concentration du web.
Pour les “journalistes” & autres “militants”
Il m’arrive de lire les messages de “journalistes” sur les réseaux sociaux. Ils sont facilement repérables puisqu’ils répondent régulièrement “JE SUIS JOURNALISTE !” quand quelqu’un leur fait remarquer qu'ils suivent le compte X de Marion Le Pen. J’ai un scoop pour vous : il est possible de suivre le contenu du compte X de Marion Le Pen SANS LA SUIVRE ! Aussi incroyable qu'il puisse paraître il existe des options de listes et de signets sur les réseaux sociaux ! Vous ajoutez tous vos comptes fascistes favoris dans une liste que vous nommez “JE SUIS JOURNALISTE” et hop ! Je ne questionnerais pas ici votre besoin irrépressible de suivre des comptes de fascistes.
Mais là ou ça devient incroyable c'est qu'il est possible de suivre le contenu des fascistes sans créer le moindre compte sur les réseaux sociaux ! Et oui tout ceci grâce à la magie du RSS (https://fr.wikipedia.org/wiki/RSS). Le principe est simple : beaucoup de contenu sur internet est RSS et un logiciel qu'on appelle “lecteur RSS” est capable de le récupérer sans effort.
Exemple avec ce compte un peu nul : https://bsky.app/profile/cerfia-fr.bsky.social. Si vous rajoutez /rss à la fin de l'URL vous avez le flux RSS du compte (https://bsky.app/profile/did:plc:mqka2w3baz6dchbyyjayl7yj/rss). Un petit tour dans votre lecteur RSS préféré :
✍️ L’actualité en temps réel
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🇫🇷❤️ FLASH | 30% des hommes ne sont pas satisfaits de la durée de leur rapport sexuel, notamment à cause d’éjaculations prématurées. ✍️
Zut ! J'ai vraiment pas fait exprès de choisir ce message... Promis juré...
Et voilà ! Du RSS il y en a partout sur internet. Profitez-en !
Quant aux militants qui expliquent que leurs comptes sur X leur permettent une visibilité et donc de recruter… Désolée je ne peux plus rien pour vous et je vais m’arrêter ici avant de tomber dans les injures.
Ce que le RSS permet avant tout, c’est de choisir le contenu que l’on voit, de choisir quand on le voit, et de choisir comment on le voit. Il est possible de s’abonner qu’à des médias de gauche, d’installer le lecteur RSS juste sur son smartphone ou juste sur son ordinateur, de limiter la synchronisation des flux à une fois par jour voire moins. Bref c’est un outil de tranquillité que j’utilise au quotidien et que je vous encourage à tester.
Well… Fuck it
C’était un petit tour d’horizon de ce qu'il est encore possible de faire sur internet en 2025 et j’espère qu’il aura inspiré ne serait-ce que l’un ou l’une d’entre vous à expérimenter, à créer des alternatives, à rejoindre des espaces virtuels dans lesquels vous vous sentez bien et où l’on vous respecte.